Nous avons... ... assisté à la conférence de Maurice Tardif «L'enseignement est-il une profession attrayante pour les nouvelles générations d'universitaires?»
Dans cette conférence prononcée en 2016, Maurice Tardif définit et questionne l'attractivité de la profession enseignante.
Il commence par préciser qu'«il s'agit d'un phénomène social qui met en relation des logiques d'acteurs avec des caractéristiques d'occupation. Ces acteurs ont des croyances, des représentations et des aspirations qui parfois s'enracinent dans leur histoire de vie. De leur côté, les occupations possèdent des caractéristiques telles que les salaires, les conditions de travail, la protection de l'emploi ou un certain statut social. Ces caractéristiques sont objectives mais aussi différentielles, c'est-à-dire qu'on ne peut en parler que si on les met en relation avec d'autres métiers et professions.»
La définition proposée par Maurice Tardif nous rappelle que ce phénomène complexe d'attractivité est nécessairement situé, c'est-à-dire qu'il est lié à des contextes bien précis.
Il propose ensuite de présenter certaines caractéristiques de l'attractivité issues d'enquêtes internationales récentes en centrant son exposé sur deux questions :
• Pourquoi l'attractivité est au centre des politiques éducatives et de la recherche en 2016 ?
• L'enseignement est-il une profession attractive ?
Pourquoi l'attractivité est au centre des politiques éducatives et de la recherche en 2016 ?
Maurice Tardif propose de développer quatre enjeux ou raisons expliquant l'importance de la notion d'attractivité. Selon lui, dans les années 80, la notion d'attractivité de la profession enseignante n'était pas discutée parce qu'il n'y avait pas besoin d'engager un nombre important de nouveaux enseignants. Il y avait alors un phénomène de pléthore. Ce n'est qu'à la fin des années 90 que la question de l'attractivité est devenue centrale un peu partout dans le monde, notamment au centre de la recherche en éducation qui a pu démontrer, depuis 25 ans et le mouvement de professionnalisation, qu'une main d'œuvre enseignante de qualité constitue le facteur le plus important de la réussite des élèves. L'effet majeur est exercé par les enseignants, avant d'autres déterminants tels que l'origine sociale des élèves, le statut socio-économique des familles. Les enseignants font la différence. Ce constat a influencé des politiques éducatives visant à recruter des enseignants compétents et motivés.
Le deuxième enjeu autour de l'attractivité est le risque de pénurie auquel sont confrontées de nombreuses sociétés. Il peut être généralisé ou spécifique à certaines disciplines scolaires. De nombreux pays européens, parmi les plus riches, souffrent aujourd'hui d'une pénurie d'enseignants. Les États-Unis connaissent ce problème depuis longtemps. L'abandon de la profession y est endémique puisque dans les cinq premières années, 50% des nouveaux enseignants quittent la profession. La question suivante y est donc récurrente : comment peut-on attirer des enseignants ?
Maurice Tardif énonce une troisième raison à l'importance de la notion d'attractivité. Jusqu'au début des années 60, les systèmes scolaires occidentaux sont très inégalitaires. À partir de cette période sont édifiés de grands systèmes scolaires voulus plus démocratiques. La massification a entrainé une expansion de l'école pendant vingt-cinq ans. Les enseignants recrutés à cette période vont rester dans la profession. Il s'agit de la génération de la démocratisation de l'école qui quitte aujourd'hui l'enseignement pour partir à la retraite. Nous sommes donc dans un contexte de renouvellement générationnel important.
Pour présenter le quatrième enjeu autour de l'attractivité, Maurice Tardif propose de resituer la profession enseignante dans une problématique plus générale qu'il nomme : "transformation des carrières et réorganisation du marché du travail". L'idée selon laquelle les individus entrent sur le marché du travail à 25 ans et restent dans la même profession pendant 35 à 40 ans est en train de s'étioler. Les modèles de carrières se sont transformés, avec des alternances de formation et d'emploi, des changements de carrière et réorientations professionnelles. Ces nouveaux modèles de carrière interpellent aussi l'enseignement.
L'enseignement est-il une profession attractive ?
Maurice Tardif propose de traiter cette question en se référant à une enquête internationale (PISA) menée, dans soixante systèmes d'éducation, auprès d'adolescents à qui il est proposé de s'exprimer sur leurs projets d'avenir. Près d'un répondant sur deux souhaiterait réaliser une carrière professionnelle nécessitant, au minimum, une formation universitaire de premier cycle. Mais seulement 5% des jeunes issus de ces soixante pays souhaiterait devenir enseignant. Parmi ces 5%, il ressort que 3% seulement des garçons choisiraient la profession enseignante. Dans cette même enquête croisée avec les résultats PISA, il observé que ces 5% ont des résultats plus faibles en littératie et en mathématiques que les élèves qui envisagent une formation universitaire. La conclusion pouvant être tirée de cette enquête est que l'enseignement attire peu les jeunes, et pas les élèves ayant les résultats scolaires les plus élevés.
Plus globalement, selon Maurice Tardif, si on compare l'enseignement à d'autres professions nécessitant le même niveau de formation universitaire, l'enseignement est un travail sous-payé de 15% en moyenne, dans la plupart des pays concernés. Une femme choisissant aujourd'hui d'entrer dans l'enseignement fait le choix de s'appauvrir par rapport à d'autres perspectives de carrières que pourrait lui donner sa formation universitaire. Cela pose un problème d'attractivité de la profession.
Maurice Tardif cite ensuite les résultats d'une enquête menée par l'Union européenne auprès de 50'000 enseignants (TALIS). Les enseignants répondent que leur profession souffre d'une crise d'identité. Le conférencier rappelle qu'il s'agit d'un terme devenu récurrent. Ils demandent une clarification de leur mission qui pourrait rendre leur métier plus attractif. Les enseignants ont le sentiment qu'ils sont surchargés de missions. Ces missions s'embrouillent et contribuent à rendre le métier peu attractif. En effet, les enseignants ne reçoivent pas de récompense pour ces nouvelles missions. Maurice Tardif en cite quelques-unes : collaboration avec les parents, l'intégration dans une équipe-école et la participation aux activités collectives, l'intégration des élèves en difficulté d'apprentissage ou de comportement dans les classes, l'écologie, etc.
Le travail des enseignants semble extensible à l'infini mais cela ne se traduit pas par des gratifications ou des incitations à les assumer et à les réaliser concrètement, comme si cela relevait du bénévolat ou de la vocation sans être considéré de manière professionnelle.
Maurice Tardif conclut sa conférence en se focalisant sur la situation des enseignants au Québec en soulignant une dégradation du prestige et du travail des enseignants, liée à une précarisation de l'école publique québécoise.